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TRIBUNE - Libération de la Corse : "La mémoire glorieuse du 9 septembre 1943"


La rédaction le Samedi 9 Septembre 2023 à 10:05

Dans le cadre du 80e anniversaire de la célébration de la Corse, lE Parti Communiste de Corse a diffusé une tribune libre que CNI publie en intégralité



Photo illustration de la ceremonie de ce samedi 9 septembre à Bastia
Photo illustration de la ceremonie de ce samedi 9 septembre à Bastia
Un événement à forte charge symbolique

La Corse célébre, avec un certain éclat, le 80 ème anniversaire de sa libération du fascisme et du nazisme. Cet anniversaire, comme ceux qui l’ont précédé, ne saurait être considéré comme une simple manifestation rituelle. C’est un événement important auquel le peuple corse a toujours accordé une grande valeur patrimoniale. Mais cette année, le contexte national et insulaire en renforce singulièrement la charge symbolique et politique. Comme ils l’ont toujours fait, les communistes de Corse (et d’ailleurs) saluent cette commémoration utile et nécessaire. Ils rappellent, à juste titre, le rôle majeur que la grande histoire avait assigné, dans ce moment crucial, à leurs camarades et à leur parti ; un rôle et une place dont la légitimité prend sa source dans le patriotisme, l’intelligence politique, le dévouement absolu de leurs camarades, et dans l’abnégation exemplaire de leurs héros et martyrs. Cette légitimité s’était déjà vérifiée de façon solennelle, à l’occasion des 50 ème et 70 ème anniversaires, quand il s’était agi de désigner les porte-parole de la résistance corse dans ces célébrations marquées par la participation de deux présidents de la République, François Mitterrand en 1993, et François Hollande en 2013 : ce sont nos camarades, Arthur Giovoni et Leo Micheli, qui ont été respectivement sollicités pour remplir ces fonctions éminentes. Les hautes responsabilités qu’ils avaient assumées dans la lutte patriotique, la stature politique que leur avait conférée leur engagement total dans le combat pour la liberté de la Corse, le souvenir toujours vivace de nos héros et martyrs… Ce patrimoine moral les désignait, tout naturellement, pour tirer les enseignements de cette période cruciale de notre histoire contemporaine, pour expliquer aux nouvelles générations le message toujours valide de la Résistance corse, et pour dégager la signification historique de « cet élan de tout un peuple contre la tyrannie », selon une formule d’Arthur Giovoni. Le 80 ème anniversaire sera célébré sous d’autres formes et, surtout, dans un contexte global et insulaire très différent.


Un contexte nouveau

Nous ne sommes plus en pleine guerre mondiale, heureusement, mais, depuis trois ou quatre décennies, le contexte international s’est fortement transformé : les inégalités se sont creusées ; les tensions se sont partout aggravées ; la guerre en Ukraine menace l’Europe ; la famine se répand dans certaines régions du monde ; une catastrophe écologique planétaire se prépare ; les perspectives d’un progrès commun, social et démocratique, semblent s’éloigner ; les nationalismes s’exacerbent ; les budgets militaires explosent sous l’effet d’une effrayante course aux armements ; les discriminations et le racisme connaissent un peu partout des développements inquiétants… Tandis que la richesse indécente d’une minorité ne cesse de grimper sous l’effet d’une mondialisation capitaliste qui accable la grande majorité des peuples ; que s’affirment et s’imposent des tendances antisociales et autoritaires dans la gestion des affaires publiques ; et que la construction européenne tend à faire du marché la règle de vie des nations au détriment de la fraternité entre les peuples… C’est dans un tel environnement - dont la Corse subit, elle aussi et à son échelle, les effets concrets - que les débats politiques insulaires se sont centrés depuis des mois, sur le statut institutionnel qu’il faudrait à notre île !

Une fausse piste

C’est, en effet, sur cette seule question de l’autonomie, qui a son importance et ses racines historiques, mais qui n’est certainement pas au cœur des préoccupations populaires, (comme l’ont montré les mobilisations contre la réforme des retraites), que se sont engagées, des discussions, assez chaotiques, entre le ministre de l’Intérieur et les élus de la Corse. Comme si c’était principalement au niveau institutionnel - et insulaire - que peuvent se résoudre les graves problèmes sociaux, économiques et écologiques dont souffrent nos territoires ; comme si la tâche primordiale des élus de la Collectivité de Corse n’était pas la prise en charge, dynamique et efficace, des compétences qui leur sont déjà dévolues ; et comme si le suffrage universel leur avait fixé la seule mission qui vaille, celle de négocier avec le ministre de l’Intérieur la mise en œuvre, toutes affaires cessantes, des vieux projets politiques du nationalisme corse ! Le projet Autonomia, on s’en souvient, a été publié il y a près d’un demi-siècle… Et, même s’il est à nouveau proclamé urbi et orbi, et surtout réactivé à l’Assemblée de Corse (en réplique à un faux-pas médiatique d’Emmanuel Macron), ce projet a désormais perdu « sa force propulsive » y compris au sein de ce que d’aucuns continuent de nommer « le mouvement national »… Certains élus nationalistes (et non des moindres) ont d’ailleurs été contraints de reconnaître publiquement que « l’on ne peut plus se permettre d’occulter le réel » et que « si l’autonomie intervient, elle ne règlera pas tous les problèmes auxquels la Corse est confrontée ». Cette lucidité (tardive et dont les aspects tactiques ne peuvent être occultés) indique bien que certaines postures, affichées par les autonomistes et les indépendantistes, seront de plus en plus difficiles à tenir face aux défis concrets que le monde réel nous lance… L’exécutif territorial lui-même, reconnait l’importance cruciale des problèmes économiques et sociaux dont l’Assemblée de Corse doit s’emparer, mais c’est pour demander à l’Etat de « prendre en considération ce qui est essentiel pour nous » c’est-à-dire « le projet national » ! Un projet qui serait le seul moyen pour les Corses de « monter dans le train de l’histoire », de prendre en charge les graves difficultés de leur île, y compris les dérives mafieuses ; bref, de faire « faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers »… Si cette dernière intention peut paraître de bon aloi, la solution proposée (« le projet national ») appelle des explications concrètes plus convaincantes que celles que contient la délibération relative à l’autonomie, votée le 5 juillet 2023, et adressée au gouvernement. En matière d’autonomie, on trouve surtout dans ce document, la revendication de pouvoirs législatifs dans différents domaines, assortis d’avantages fiscaux spécifiques et d’un surplus de solidarité « nationale »… Cette autonomie s’apparenterait plutôt à une transition vers l’indépendance ! Les autonomistes disent ne pas vouloir l’indépendance ; ils souhaitent « simplement faire la loi » en Corse, en lieu et place du Parlement national, et avec les moyens que ce même Parlement devra leur accorder en votant le budget de l’Etat… La réponse du pouvoir ne devrait pas tarder… On peut s’attendre à ce qu’elle ne satisfera pas les nationalistes qui, toutes tendances confondues, ont délibérément placé très haut, à l’Assemblée de Corse, la barre de leurs exigences institutionnelles et financières. De fait, cette évolution vers l’autonomie, rebaptisée « projet national », est sans rapport réel avec les besoins concrets de la Corse ; elle pourra difficilement être acceptée comme telle, et elle pourrait entraîner de nouvelles frustrations, elles-mêmes génératrices de dérives nouvelles. Enfin, en postulant, sans le dire l’émergence d’une citoyenneté corse, elle tourne le dos au patrimoine moral des Corses qui ont choisi depuis plus de deux siècles, de devenir et de rester, avec leurs différences et leur langue propre qui enrichit le patrimoine national, des citoyens français à part entière. Depuis huit ans, en effet, qu’ils dirigent les affaires territoriales, les nationalistes ont beaucoup parlé, entre eux, de leur « projet national », sans pour autant en expliciter les implications. Mais ils n’ont réglé, concrètement, aucun des grands dossiers dont ils ont reçu la charge. Ils ne sont pas porteurs de solutions politiques crédibles. Tôt ou tard, ils seront contraints de réaliser que leurs palabres internes, fortement médiatisées (qui contrastent avec leur discrétion à l’égard des campagnes haineuses, et anti-françaises, de tel ou tel groupe clandestin) ont fini par lasser le peuple corse dont ils se réclament et qui attend tout autre chose. Ils devront rendre des comptes à leurs électeurs et à la Corse.


Une autre voie

Car les causes structurelles de nos difficultés résident, principalement, dans notre situation géographique et socio-économique, dans les tendances lourdes qu’impose la toute-puissance du système capitaliste mondialisé, dans l’économie saisonnière et les déséquilibres qui l’accompagnent, dans les politiques publiques néfastes qui en découlent au plan national et européen, dans les retards d’équipement et d’ingénierie qui affectent un peu partout en France les zones montagneuses sous-industrialisées, dans la captation, en Corse, au profit d’intérêts privés, des allègements de TVA et d’une part importante de la solidarité nationale, dans le poids croissant d’un consortium qui concentre une large part de l’économie de la Corse, dans le coût de la vie qui atteint des records « nationaux », dans la pauvreté qui s’élargit, dans les graves inégalités sociales qui marquent la société corse elle-même… C’est à ces grandes questions que l’Assemblée de Corse devrait consacrer ses travaux de fond, et organiser un partenariat, critique et constructif, avec les services de l’Etat, si ses objectifs réels sont bien d’améliorer la vie quotidienne des Corses. Il faut, selon nous, poser en d’autres termes la question de l’avenir de la Corse. En commençant, notamment, par revisiter les représentations souvent fantasmées de l’histoire et de la place singulières de la Corse dans la Nation. Il est vain d’opposer la France et la Corse. Il faut préciser, à nouveau, de quelle France on veut parler. Celle de Pétain n’était ni celle de De Gaulle ni celle de Gabriel Peri ! Comme le rappelle utilement Edgar Morin : « Depuis la Révolution de 1789, deux France se sont succédé ou ont coexisté : la France humaniste et la France réactionnaire. La campagne pour l’élection présidentielle de 2022 montre combien la seconde a aujourd’hui pris le pas sur la première. L’identité même du pays est devenue problème. Or l’histoire nous révèle clairement la nature une et multiple de l’identité française ». Les Corses ont largement confirmé, au moment des choix décisifs, leur attachement à une Nation que, depuis la Révolution, ils ont contribué à construire. Et à laquelle ils ont apporté leur singularité, tout en lui fournissant depuis plus de deux siècles, beaucoup d’élites dirigeantes, quelles qu’aient été, par ailleurs, les bouleversements de l’histoire ! C’est « la nature une et multiple de l’identité française » qui explique, pour partie, la pérennité de cet attachement du peuple corse à la Nation française… Ce sont, également, les mouvements populaires insulaires qui ont renforcé leur cohésion « de classe » avec le mouvement ouvrier national. Cette solidarité syndicale et ouvrière a été, elle aussi, à sa façon, un facteur d’unité nationale puissant. Se souvient-on, dans certains milieux, que la Corse a connu, entre 1919 et 1939, près de deux cents conflits ouvriers ? Et que ces conflits ont été activement soutenus par la CGT et les grands syndicats nationaux, notamment pour faire respecter par le patronat corse les acquis du Front populaire ? Et on n’évoquera ici que pour mémoire les grands conflits sociaux de 1989, 1995, ou 2023 pour les retraites… Dans cette île peu peuplée, privée de grandes concentrations ouvrières, et saignée à blanc par la guerre de 14/18, ces luttes, anciennes et récentes, illustrent, à leur manière, les besoins et les préférences des ouvriers et des salariés insulaires… Le 80 ème anniversaire de la libération est une bonne occasion pour le rappeler, en reprenant à notre compte la distinction établie par Edgar Morin : c’est toujours dans les phases « humanistes » de l’histoire de la Nation (où il faut inscrire les luttes populaires) que la Corse a obtenu des changements positifs dans la vie de ses territoires et de son peuple. La France du Front populaire et ses acquis sociaux a suscité en Corse un enthousiasme comparable à celui des ouvriers du continent… Et inversement, c’est la France « réactionnaire » qui, imposant des régressions à tout le pays, a laissé à son triste sort une large part du peuple corse restée au pays. C’est pourquoi aussi l’avenir de la Corse dépend, pour l’essentiel, de l’avenir, démocratique ou non, de l’ensemble national où elle a choisi de s’inscrire. Il dépend aussi, naturellement, de la nature et de l’orientation de ses propres combats : il n’y a aucun avenir démocratique dans certaines analyses et mots d’ordre qui excluent et divisent, quand ils ne sont pas carrément racistes… Les solutions à imaginer et à travailler sont à rechercher dans la convergence des luttes sociales et culturelles (voire sociétales) entre les forces populaires insulaires et celles du continent. Tout commande le rassemblement, non le repliement sur soi !

La leçon du 9 septembre 1943

Il ne devrait pas être nécessaire de le redire ici, mais la nature de certains débats nous incite à le rappeler (avec un certain sourire) : Non, notre histoire insulaire ne s’est pas arrêtée en 1769, avec la défaite de Ponte novu ! Elle n’a pas non plus repris son cours à Aléria, en 1975 ! Elle a continué de s’inscrire dans le cadre nouveau ouvert par la proclamation du 30 novembre 1789 ! Et, depuis ce moment révolutionnaire fondateur, chaque fois que l’histoire lui commandait de choisir, le peuple corse a confirmé ses préférences nationales. Il paraît douteux qu’il puisse se mobiliser en masse, aujourd’hui, pour « la reconnaissance de ses droits nationaux » et, moins encore, proclamer majoritairement ce principe qui évoque étrangement la doctrine israélienne génératrice de discrimination et d’exclusion : « le peuple corse, seule communauté de droit sur sa terre ». Quoi que puissent en dire les nationalistes corses d’aujourd’hui, le sentiment national du peuple corse a été puissamment rappelé par Jean Nicoli, quand, dans Le Journal de la Corse, il s’enflammait, en 1938, au moment du serment de Bastia, contre les prétentions annexionnistes du fascisme mussolinien. Et quand il plaidait, dans le même journal, en faveur d’un enseignement raisonné et structuré de l’histoire et la géographie de la Corse. Il estimait que « l’amarre du passé » était le plus sûr garant d’une formation solide et complète, et il écrivait : « le Corse, connaissant mieux son pays, s’y attachera au sens le plus fécond du terme et comprendra davantage cette grande Nation française, la seule qui puisse contenir sans accrocs l’histoire glorieuse et tourmentée du peuple corse ». Nous ajouterons : cette Nation capable aussi de revenir sur ses erreurs et d’aider à restaurer l’usage de la langue régionale et de soutenir ses défenseurs. « Contenir sans accrocs l’histoire glorieuse et tourmentée du peuple corse » ! Tout était dit. Et la voie de la résistance tracée. En 1939, au congrès de Porto Vecchio, le Parti communiste ne disait pas autre chose quand il réclamait l’armement du peuple corse contre le fascisme. Ces messages et ces orientations stratégiques ont connu la fortune que l’on sait : ils ont préparé les conditions d’une large mobilisation populaire ; et sans les fortes convictions patriotiques du peuple corse, qui voulait rester libre et français, l’insurrection du 9 septembre n’aurait pas pu revêtir le caractère de masse et l’impact politique et moral qui ont été les siens. Ce qui est mémorable nous instruit. Dans les conditions de notre temps, nous avons, tous, quelles que soient nos opinions ou préférences personnelles, le devoir et la responsabilité, en célébrant l’événement majeur auquel nous devons nos libertés d’aujourd’hui (et que nous devrons toujours défendre) nous avons tous le devoir d’entretenir et de perpétuer la mémoire glorieuse du 9 septembre 43 !

Les 50 premiers signataires :


Joseph AGOSTINI, Nicolas ALARIS, Rudhy ALBERTINI, Jean-Louis AMIDEI, René AMORETTI, Anissa-Flore AMZIANE, Auguste BARTOLI, Etienne BASTELICA, Nicole BERTRAND, Viviane BIANCARELLI, Renée BISGAMBIGLIA, Dominique BUCCHINI, Noël CASALE, Jean-Frédéric DEJEAN, Laurent CHIOCCA, Gérard GAGLIARDI, Paul GIANNANTONI, Michelle LARNAUD-CHIOCCA, Pierre-Jean DELAVALLE, Nicole DEVICHI, Jean-François FERRANDINI, Jean Pierre FABIANI, Manette FERRANDINI, Serge GORI, Gilles LARNAUD, Paul LARNAUD-CHIOCCA, Marc Antoine LEROY, Jacqueline LLEDO, Yves LLEDO, Jean-François LOMELLINI, Catherine LOVIGHI, Paul Antoine LUCIANI, Jean Pierre MAGINOT, Charles MARIANI, Angèle MERCURI, Marie-Jeanne PETIT-MICHELETTI, Jeanine MONDOLONI, Danielle MONDOLONI, Jean-Charles MONDOLONI, Pierre-Ange MUSELLI- COLONNA, Françoise NORDEE-CECCALDI, Maxime NORDEE, Dominique PERRAUDIN, Jean-Marc PENCIOLELLI, Francis RIOLACCI, Pascal ROSSI, Ange ROVERE, Michel STEFANI, Gilbert STROMBONI, Michel TRAMONI.



Celle et ceux qui souhaitent devenir signataires de ce texte peuvent en faire la demande par mail à l’adresse suivante : terrecorse789@gmail.com